Lutte contre les violences obstétricales au Burkina Faso:un combat urgent pour la dignité des femmes

Les violences obstétricales sont une réalité au Burkina Faso. Derrière les portes des maternités, des salles d’accouchement, des gestes inacceptables sont commis, des femmes sont humiliées, et maltraitées et leurs droits bafouillés. Ces abus, souvent minimisés ou ignorés, laissent des séquelles indélébiles, tant physiques que psychologiques, sur les femmes. 

Mme Sarah Zongo, comptable de 29 ans, avait tout préparé pour le plus beau jour de sa vie, la naissance de son premier enfant. Moment attendu et esperé magique, s’est pourtant transformé en cauchemar. A 4 heures du matin, le travail a commencé. Le bébé, pesant près de 4 kilos, s’annonçait déjà difficile à mettre au monde. Sans explication ni consentement, une sage-femme est monté sur un tabouret à côté de la table d’accouchement et a brutalement appuyé sur le ventre de Sarah pour accélérer le processus. La douleur était insupportable. Alors que la deuxième sage-femme suggérait une épisiotomie, la première a choisi de forcer le passage causant une grave déchirure . Après l’accouchement Sarah a commencé à saigner abondamment. Un médecin a été appelé en urgence, mais son attitude froide et insensible a ajouté à son calvaire . Ignorant sa douleur, il a suturé la plaie sans anesthésie, infligeant des souffrances atroces à Sarah tout en la réprimandant.

Alors qu’elle se debattait avec l’angoisse et la douleur, il l’a menacée de l’emmener au bloc opératoire si elle continuait à bouger. Aujourd’hui encore, les souvenirs de cette épreuve traumatisante hantent Sarah.

Le témoignage de Sarah est loin d’être un cas isolé au Burkina Faso. Comme l’explique Aïcha Tankoano/Nikièma, magistrate spécialisée en droit international et en droits des femmes, les violences obstétricales désignent tout acte ou omission du personnel de santé qui est effectué sans consentement éclairé ou justifié médicalement. Cela inclut les abus physiques, les humiliations, les violations de l’intimité et un manque de respect envers la dignité de la patiente.

Aissata Diallo, coépouse de Mme Conseibo Adeline, une commerçante de 32 ans, a été témoin d’une autre forme de violence obstétricale dans un dispensaire. Après avoir eu des complications lors de son travail, Mme Conseibo a été transférée dans un centre de santé et de promotion sociale (CSPS). Là, elles ont été confrontées à une sage-femme épuisée qui n’a montré aucune empathie. « Non encore une référence, nous ne sommes pas des machines, allez vous asseoir, je suis fatiguée », at-elle dit, rejetant toute forme de compassion. Bien que le transfert ait finalement permis à un médecin  de prendre en charge Mme Conseibo, cette expérience continue de la traulatiser. Les études réalisées par la Société des gynécologues et obstétriciens du Burkina (SOGOB) en 2020 ont mis en évidence une réalité alarmante. L’étude a révélé que les violences obstétricales étaient particulièrement présentes dans certains établissements de santé de Ouagadougou, avec des taux de prévalence inquiétants : 52 % des femmes du CSPS du secteur n°29, Ex secteur n°16, ont rapporté avoir subi des violences, contre 42,66 % au CMA et 22 % au CHU de Bogodogo. Parmi ces violences, 36 % étaient verbales et 19,33 % physiques, telles que des gifles, des pressions abdominales ou des humiliations. Les sage-femmes étaient responsables de la majorité des abus (64,22 %), suivies des gynécologues femmes (27,91 %) et des gynécologues hommes (12,29 %).

Avis du Président de la SOGOB…

Selon Boukary Semdé, secrétaire général de l’Association burkinabè des Sages-femmes et Maïeuticiens, les sages-femmes sont les plus indexes en matière des violences obstétricales en raison de leur proximité et de leur nombre élevé. La majorité des sages-femmes, dit-il, sont conscientes de l’importance de l’éthique et du respect des patientes, enseignées dans les écoles de medicine. . Toutefois, il reconnaît que des facteurs tels que la surcharge de travail et le stress jouent un rôle majeur dans ces comportements. « Une équipe de deux sages-femmes qui font vingt accouchements en une nuit finie par être épuisée, et cela conduit souvent à des violences, notamment psychologiques et physiques », explique-t-il. Pour M. Semdé, il est essentiel de mettre en place des protocoles internes, incluant un soutien moral et psychologique ainsi qu’un système de référencement. Un appel est lancé au ministère de la Santé pour instaurer des mesures permettant de réduire de manière significative les violences dans les maternités.

Le Dr Yssou Dao , gynécologue obstétricien, souligne également une autre dimension du phénomène. Il évoque la violence infligée par les patientes elles-mêmes envers le personnel soignant. « On parle souvent des violences du personnel de santé sur les femmes en travail, mais on ne parle pas des violences infligées par les patientes sur le personnel soignant. Le personnel de santé est également victime de violences, notamment des coups de pieds, des coups de poing pendant les accouchements. Mais il faut savoir qu’une patiente qui vient pour accoucher peut être psychologiquement vulnérable. Face à de telles patientes, il est essentiel de savoir rester calme et de gérer ses émotions », explique Dr Dao.

Dans son mémoire sur les déterminants de l’apparition des violences obstétricales à la maternité du centre médical de Ouarkoye, Oulala Dado, sage-femme révèle qu’un grand nombre de soins sont administrés sans consentement, et qu’un manque de communication persiste entre prestataires et parturientes, engendrant la peur et une augmentation des accouchements à domicile. Certaines femmes, craignant des mauvais traitements, préfèrent accoucher chez elles plutôt que de risquer la maltraitance. Un cas tragique, rapporté par le mémoire, illustre cette situation. En septembre 2011, les habitants de la zone de Bobo-Dioulasso ont incendié la maternité Sylla-Sanon après que les sage-femmes ont ignoré une femme en travail, préférant selon les informations recueillies, regarder la télévision. La femme, abandonnée sur la table d’accouchement, a succombé à ses douleurs, marquant le quatrième incident de ce type cette année-là. Au Centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya, 70,07 % des accouchements sont effectués en position gynécologique, souvent imposée par les prestataires, et 59 % des femmes craignent d’exprimer leurs préférences de peur de réprimandes.

À l’échelle internationale, la situation n’est guère meilleure. Dans son mémoire, Mme Dado souligne qu’au Québec, entre 84 % et 86 % des femmes rapportent une expérience négative lors de leur accouchement. En France, 6 % des femmes se déclarent insatisfaites, et en Italie, 21 % des mères ont subi des violences obstétricales, 64 % des épisiotomies  sont pratiquées sans consentement. L’OMS a, quant à elle, révélé en 2019 qu’un tiers des femmes en Afrique ont subi des mauvais traitements lors de l’accouchement.

Pour Aïcha Tankoano/Nikiema, les patientes en obstétrique ont droit à la protection contre la torture et les traitements dégradants, garantie par la législation burkinabè et divers instruments internationaux comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Pacte International sur les Droits économiques, sociaux et culturels, et le Protocole de Maputo. « La CEDEF reconnaît les violences obstétricales comme une forme de violence basée sur le genre », ajoute-t-elle. Au Burkina Faso, l’article 13 de la loi sur la santé de la reproduction protège contre les traitements cruels ou dégradants, y compris dans les soins obstétricaux, et le code pénal permet de réprimer certains actes constitutifs de violences obstétricales bien que celles-ci ne soient pas précisées nommées. Parmi les formes courantes de violences obstétricales, le magistrat identifie les insultes, les humiliations, l’usage excessif de la force, la négligence et les interventions sans consentement.

 

Les femmes peuvent porter plainte auprès de l’établissement de santé, des autorités sanitaires, ou engager des poursuites judiciaires. Elles peuvent également solliciter l’aide d’organisations de défense des droits des femmes pour un soutien juridique et psychosocial. Pour renforcer la protection des patients, Mme Tankoano/Nikiema propose de définir clairement les violences obstétricales dans la législation, de renforcer les sanctions, d’établir des mécanismes de plainte accessibles et de mettre en place un suivi des pratiques obstétricales.

La transformation des soins de maternité passe par un changement profond dans l’attitude des professionnels de santé, la réduction de la surcharge de travail et un soutien psychologique pour les prestataires. La santé de la mère et de l’enfant mérite d’être une priorité, et l’humanisation des soins est plus qu’un besoin, c’est un droit.

Madina Belemviré

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

3 + 12 =