Consommation de la chicha : entre défiance de l’autorité communale et ignorance des conséquences sanitaires

La consommation de la chicha se conjugue encore au présent à Ouagadougou. Telle est, du moins, la réalité dans plusieurs quartiers ouagavillois où ce sont majoritairement des jeunes gens qui s’y adonnent à cœur joie. Et ce, en dépit de l’interdiction brandie par l’autorité municipale à travers un arrêté rendu public en avril 2021.

Samedi 11 septembre 2021. Il est 22 h quand, accompagnées de deux garçons en qualité de guides, nous arrivions dans une des ‘’chicha house’’ du quartier Tampouy, sis au secteur 16 de la ville de Ouagadougou. Une demoiselle nous accueille avec un sourire angélique et nous conduit dans une autre salle où sont disposées des canettes de ‘’Vody‘’ devant un groupe d’adolescents. « Qu’est-ce que je peux vous servir ? », lance-t-elle. « Deux sucreries pour nous, de l’alcool pour les hommes », avons-nous répondu. Et les garçons d’ajouter qu’ils souhaitent prendre également de la chicha. « On ne peut pas monter la chicha à cette heure parce que les policiers rodent souvent dans les parages. Si ce n’est pas à 23h ou minuit », a-t- elle répondu.

Après avoir consommé nos boissons, nous mettons le cap sur une autre chicha house installée au quartier Kilwin. A l’entrée de cette chicha house qui semble très fréquentée, un groupe d’adolescents s’adonnent allègrement aux jeux de billards. Là, nous sommes accueillis par deux jeunes garçons qui interrogèrent l’un de nos guides sur les raisons de son absence des lieux ces derniers jours. Après un bref échange entre les habitués des lieux et les deux gérants, nous sommes invités à l’intérieur. Outre l’odeur de la chicha qui nous accueille à l’entrée, c’est une sorte de brouillard qui plane dans la salle, nous empêchant de voir les visages des uns et des autres et même de trouver une place vide pour s’installer.

La salle est bondée d’adolescents et de jeunes. De gauche à droite, il y a des groupes de jeunes filles comme garçons qui prennent du plaisir à fumer la chicha au rythme de la musique, le tout accompagné de boissons alcoolisées. Après avoir lancé notre commande, nous avons demandé au gérant de monter une chicha pour nous. Nos guides choisissent le parfum de menthe pour notre expérimentation. Jouant le jeu, nous avons tiré un coup et pour une première fois, c’était une sensation d’étouffement et de dégoût. Mais pour ne pas éveiller les soupçons au milieu de ces jeunes qui manifestement sont des professionnels en la matière, nous avons immédiatement pris une gorgée de sucrerie pour masquer les apparences. « Les filles, vous buvez sucrerie ? Ya diabète deh », nous a taquiné un adolescent. En guise de réponse, nous avons juste esquissé un sourire avant de quitter les lieux quelques temps après pour rejoindre une « supposée » salle de jeu et de divertissement située au pied de l’échangeur du Nord à Ouaga.


Dans la salle principale de jeu, sont disposés des jeux de toute sorte. Et dans le prolongement de cette salle, se trouvent deux autres salles. L’une sert de boîte de nuit dans laquelle on peut exécuter quelques pas de danse et fumer la chicha ; et l’autre sert de refuge pour ceux qui souhaiteraient avoir plus d’intimité. Dans la salle servant de boîte de nuit, un groupe d’adolescents se passent la chicha avec des boissons alcoolisées à l’appui. Ils profitent flirter avec leurs petites amies sans se soucier du regard des autres. D’autres prennent des photos avec leurs copines dont l’habillement laisse entrevoir certaines parties du corps dans l’autre salle. Une ambiance de chicha malgré l’arrêté communal portant interdiction sa consommation.

Une pratique qui résiste à la loi

La prolifération des points de vente et de consommation de chicha dans la ville de Ouagadougou conduit l’autorité municipale à prendre, en avril 2021, un arrêté portant interdiction de la consommation de la chicha dans les lieux publics sur toute l’étendue du territoire communal.

Une décision qui a été saluée par plus d’un, surtout par les agents de santé qui se retrouvent à devoir prendre en charge des consommateurs de la chicha.
« C’est une décision assez salutaire parce qu’on voyait à un moment donné que beaucoup de zones de consommation de chicha commençaient à envahir les rues de Ouagadougou», a commenté Dr Edem Kunakey, membre de l’équipe de prise en charge à l’Unité de sevrage tabagique.

Selon Dr Kunakey, une étude réalisée en 2019, dans la ville de Ouagadougou, a révélé que 76% des consommateurs de chicha étaient de sexe masculin avec une moyenne d’âge estimée à 22 ans, et avec des extrêmes allant de 10 et 56 ans. 76% étaient des élèves et étudiants. L’âge d’initiation de la chicha était de 17 ans avec des extrêmes allant de 5 à 40 ans.

Par ailleurs, cette étude révèle que la chicha est consommée dans les ‘’grins de thé’’, les chicha-bars, les hôtels, les boîtes de nuit et même dans les domiciles. Elle révèle également que les raisons avancées pour justifier sa consommation sont essentiellement liées à la recherche du plaisir, la volonté de s’affirmer ou d’appartenir à un groupe d’amis comme précise un adolescent de 15 ans rencontré dans une des chicha house visitée : « Tous mes amis fument, c’est avec eux que j’ai appris. J’ai commencé depuis la classe de CM1 à l’école. J’ai un camarade qui envoyait ça à l’école et pendant la récréation, on se cachait pour fumer ». Et un autre d’ajouter : « Nous cotisons souvent entre amis pour avoir 2500-3000 FCFA afin d’aller fumer dans les chicha store. Quand on fume, on est content, on se sent bien, c’est comme si tu planais ».

Ces adolescents qui font de la consommation de la chicha leur passe-temps ignorent, pour la plupart, les conséquences néfastes de cette substance sur leur santé : « Il n’y a pas de conséquences, c’est juste de la fumée, ça ne peut pas tuer quelqu’un », se convainc un élève que nous avons rencontré dans la salle de jeu.

La chicha, plus dangereuse que la cigarette

Une considération erronée, selon Dr Kunakey qui a soutenu que la consommation de la chicha est plus dangereuse que celle de la cigarette. A l’en croire, des études ont montré que, de par sa composition, une cinquantaine de bouffées de chicha consommée sur une durée moyenne d’une heure équivaut à deux paquets de cigarette, soit 40 battons de cigarettes au total. Il est aussi prouvé que le monoxyde de carbone contenu dans la fumée de la chicha est sept fois supérieur à celui contenu dans la fumée de la cigarette. Du goudron y est également contenu. Il a été démontré que le goudron contenu dans une bouffée de chicha équivaut à pratiquement ce qui est contenu dans une vingtaine, voire une centaine de cigarette.

Paradoxalement, certains parents, ignorant probablement les conséquences de cette substance sur la santé, vont jusqu’à encourager leurs enfants à la consommer à la place de la cigarette. « Pour interdire à leurs enfants de consommer la cigarette, certains parents les autorisent à aller avec leurs amis dans les chicha-bars. Chers parents, autant vous interdisez à vos enfants de ne pas consommer du tabac, autant vous devez faire la même chose par rapport à la chicha », a souhaité Dr Edem Kunakey pour qui la consommation de la chicha peut engendrer des conséquences irréparables pour le consommateur.

Conséquences de la consommation de la chicha

Depuis l’adoption de l’arrêté, la police municipale a mené des opérations qui ont conduit à la saisie d’environ 300 tubes à chicha. Mais cela reste insuffisant car malgré l’interdiction, rien ne semble arrêter ces adolescents qui sont pour la plupart des élèves.

Des gérants de maquis, s’étant rendus compte de la rentabilité de ce commerce, en profitent pour se faire le maximum d’argent sans se soucier de la santé de ces adolescents. La preuve, dans les différentes chicha house où nous sommes passées, les principaux clients étaient des adolescents de 14 ans et plus, les prix variant entre 2500 et 5000 F CFA par chicha.

Au moment où nous quittions la supposée salle de jeu, il était pratiquement minuit et la salle ne désemplissait pas, bien au contraire.

Et nous ne sommes pas empêchées d’avoir cette réflexion selon laquelle les parents d’élèves, le gouvernement burkinabè ainsi que les acteurs concernés devraient être plus regardants sur ce phénomène qui semble résister à l’interdiction des autorités locales. Bien particulièrement, les responsables d’établissements sont interpellés, car certains élèves ont soutenu avoir commencé à fumer à l’école.

Comparaison n’est certes pas raison, mais on pourrait néanmoins se poser cette question : si avec l’adoption de l’arrêté à Ouagadougou les gérants ne sont pas inquiétés, qu’en est-il des autres villes où il n’y a pas d’arrêté pour interdire la consommation de la chicha dans les lieux publics ?

Madina Belemviré

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