Malformation foetale: Ce que Rosalie a découvert en voyant son bébé pour la première fois
Elle rêvait de l’instant magique où elle tiendrait son enfant contre elle. Mais ce jeudi matin, dans un CHU de Ouagadougou, le monde de Rosalie s’est écroulé. Son bébé est né avec une hydrocéphalie, une malformation grave du cerveau. Comme beaucoup d’autres femmes, elle n’avait pas pu faire d’échographie. Un suivi qui aurait pourtant pu tout changer. Car au Burkina Faso, la loi autorise l’interruption sécurisée de la grossesse en cas de malformation fœtale grave, si la femme le souhaite.
Dans la salle d’accouchement, il y a eu un silence. Pas le silence de l’attente, mais celui de l’incompréhension. Rosalie Nikièma (nom d’emprunt), une jeune femme d’une vingtaine d’années, venait de mettre au monde son premier enfant. Elle aurait dû sourire, pleurer de joie, tendre les bras vers cette petite vie. Mais quand la sage-femme lui a tendu son enfant, Rosalie n’a pas bougé. Son regard s’est vidé. L’enfant avait une tête énorme, déformée. Son rêve d’un bébé parfait s’est brisé net.
Le bébé est né avec une hydrocéphalie, qui est « une accumulation anormale du liquide céphalo-rachidien dans le cerveau », explique le Pr Yobi Alexis Sawadogo, gynécologue obstétricien. « Chez le fœtus ou le nouveau-né, cette pression provoque une augmentation du volume de la tête, parce que les os du crâne ne sont pas encore soudés. »
Ce type d’anomalie n’est qu’une forme parmi d’autres de ce qu’on appelle les malformations fœtales. Ce sont des défauts de développement d’un organe ou d’une partie du corps du bébé pendant la grossesse. Elles peuvent toucher le cœur, les membres, les organes internes, ou comme dans le cas de Rosalie, le cerveau. Les causes sont multiples : génétiques, infectieuses, exposition à des substances toxiques…, ou parfois, simplement inconnues.
Le mari de Rosalie a confié que son épouse n’avait pas pu faire d’échographie pendant la grossesse. Et cela change tout. « Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé », déplore le Pr Sawadogo. « Beaucoup de femmes arrivent à l’accouchement sans qu’aucune anomalie n’ait été détectée, faute de suivi. C’est une responsabilité partagée. Celle des femmes, mais aussi de certains agents de santé. »
Pourtant, l’échographie peut tout changer. Elle permet de détecter une anomalie tôt, de préparer une prise en charge ou, dans certains cas, de donner à la femme le choix d’interrompre sa grossesse. Oui, au Burkina Faso, l’article 513-13 du Code pénal autorise l’interruption médicale de la grossesse en cas de malformation grave, si celle-ci est confirmée par un médecin et si la femme le souhaite.
Mais pour faire ce choix, encore faut-il savoir. « La période idéale pour détecter une malformation fœtale, c’est autour de 22 semaines de grossesse », insiste le gynécologue.
C’est souvent à ce moment-là que tout bascule pour certains parents. Lorsqu’une malformation est confirmée, l’annonce devient un véritable choc. C’est pourquoi l’accompagnement psychologique est essentiel. Les parents, et surtout les mères, ont besoin d’être écoutés, soutenus, entourés.
La naissance d’un enfant, pour une mère, est souvent l’aboutissement d’un rêve, d’un espoir, d’un amour profond. Dès la grossesse, la femme imagine son bébé, le projette dans sa vie, et commence à l’aimer. Mais quand le bébé naît avec une malformation grave, ce rêve peut se transformer en choc.
Selon Bowensomde Bienvenue Yaméogo, psychologue clinicien, ce choc peut bouleverser la mère sur plusieurs plans, émotionnel, psychologique, familial, économique. Certaines femmes peuvent se sentir complètement perdues, rejetter leur bébé, ou refuser de le prendre dans leurs bras. Ce n’est pas de la méchanceté, c’est une réaction de douleur extrême. Le choc est tel que certaines mères entrent dans un silence profond, refusent de parler, ou sombrent dans une tristesse intense.
Lire notre article sur l’immersion au CHU de Bogodogo
https://www.bulletinsante.net/interruption-securisee-de-la-grossesse-un-voyage-au-coeur-des-soins-au-chu-de-bogodogo/
Dans cette maternité de Ouagadougou, les accompagnantes félicitaient Rosalie, saluant un accouchement réussi. Mais la jeune mère restait absente, figée, incapable de répondre aux sourires. Le bébé qu’elle avait rêvé ne ressemblait pas à celui qu’elle tenait. Et le choc immense avait étouffé toute émotion. Autour d’elle, la vie continuait. Mais pour elle, le temps s’était figé.
Deux femmes, venues avec elle à la maternité, s’occupaient du nouveau-né. Elles le nourrissaient avec du lait artificiel, le couvraient d’un pagne pour le dissimuler aux regards curieux. Elles faisaient ce qu’elles pouvaient, avec maladresse peut-être, mais aussi avec jugement. Car bientôt, leurs gestes de soin ont laissé place à des mots durs. Elles ne comprenaient pas. Pourquoi Rosalie restait-elle là, muette, les bras vides, le regard perdu ? Elles lui reprochaient de refuser de nourrir son enfant. Quelle mère normale ferait ça ? Elles l’ont traitée de mère froide, d’irresponsable. D’autres femmes se sont jointes à la vague des reproches. Tout le monde semblait avoir quelque chose à dire. Sauf Rosalie. Elle, elle ne disait rien. Elle fixait le vide, comme si son âme avait quitté la pièce. Elle ne voyait plus son enfant, ni les regards, ni les voix. Elle était ailleurs, dans cette fracture silencieuse entre le rêve et la réalité.
« Ce genre de situation peut provoquer ce qu’on appelle une effraction narcissique”, explique-t-il. En d’autres termes, la mère se sent brisée dans son amour-propre, dans son rôle de “bonne mère”. Elle peut se sentir coupable, honteuse, impuissante. Cette détresse est encore plus forte chez celles qui deviennent mères pour la première fois.
Dans nos sociétés, renseigne Mr Yaméogo, ces naissances sont parfois mal comprises. Certains pensent que c’est un signe de malédiction, de punition divine, ou accusent la mère d’avoir fait quelque chose de mal. Ces croyances aggravent la souffrance de la mère. Elle a peur du regard des autres, de ce qu’on dira d’elle. Elle peut même s’isoler, fuir ses amis, abandonner son travail ou ses activités, de peur d’être jugée. Et si le couple n’est pas solide, la situation peut provoquer des conflits, voire une séparation.
À tout cela s’ajoute l’inquiétude sur l’avenir : comment va-t-on s’occuper de l’enfant ? Avec quels moyens ? Pour des familles déjà en difficulté, la question financière devient un autre poids très lourd.
Quand cette douleur psychologique n’est pas prise en charge, prévient le psychologue clinicien, elle peut évoluer vers une dépression sévère. Dans les cas les plus graves, cela peut conduire à des pensées suicidaires ou, plus tragiquement encore, à des gestes irréparables envers l’enfant.
Cet accouchement, en apparence banal, soulève une question de fond. Combien de femmes accouchent dans l’ignorance d’une malformation évitable ou détectable ? Combien vivent ce choc à froid, seules, brisées, avec un sentiment de culpabilité injuste ? Et surtout, combien auraient pu exercer un choix prévu par la loi, si elles avaient eu accès à un diagnostic à temps ?
Rosalie ne l’a pas dit à voix haute, mais son regard parlait pour elle. Il faudra du temps, du soutien, de l’écoute et surtout, pour les autres femmes, plus d’accès à l’échographie, plus d’informations, plus de prévention pour que d’autres rêves ne se fracassent pas ainsi au premier cri.
Madina Belemviré