Soins de santé inclusifs : Les femmes handicapées réclament des soins de maternité accessibles

De nombreuses femmes célèbrent l’accouchement comme l’un des moments forts de la maternité, mais pour les femmes en situation de handicap du Burkina Faso, le chemin vers la maternité est semé d’embûches, ce qui en fait une épreuve décourageante. Les établissements de santé conçus sans tenir compte de l’accessibilité, des portes étroites, absence de rampes d’accès, tables d’examen inadaptées,  donnent l’impression que l’accès aux soins de santé est une bataille pour la dignité humaine. Chaque détail semble crier : « Vous n’êtes pas le bienvenu ici ».  

Les femmes en situation de handicap demandent que les centres de santé soient rendus accessibles à tous

La prévalence du handicap au sein de la population burkinabè âgée de 5 ans ou plus est de 1,1%, ce qui représente un total de plus de 184 975 personnes vivant avec un handicap recensées lors du cinquième recensement général de la population et de l’habitat en 2019. Parmi ces personnes, il y a un peu plus de femmes (93 747) que d’hommes (87 209). Près de la moitié des personnes en situation de handicap au Burkina Faso (80 926) souffrent de déficiences motrices, suivies des déficiences visuelles (62 278) et de l’incapacité à se soigner (34 363). L’accès aux soins de santé reste un défi logistique majeur pour cette population.

Au Burkina Faso, près de la moitié  (45,6%, 80 926) des personnes handicapées souffrent d’un handicap moteur

Les témoignages de femmes en situation de handicap révèlent les dures réalités auxquelles elles sont confrontées dans le système de santé. Confrontées à des obstacles physiques et organisationnels dans les établissements de santé, ces femmes sont livrées à elles-mêmes dans un système qui ne semble pas prêt à répondre à leurs besoins spécifiques.

Rosalie Kaboré, handicapée moteur (nom d’emprunt) se souvient que lorsqu’elle s’est rendue à sa première consultation prénatale à l’âge de 18 ans, une sage-femme lui a dit :« Toi aussi tu tombes enceinte ? Tu vas souffrir ».  Elle se souvient que la famille et les voisins ne voient pas d’un bon œil une jeune fille handicapée enceinte et célibataire. Après le commentaire de la sage-femme, elle a envisagé l’avortement, mais a choisi de poursuivre sa grossesse avec le soutien de sa sœur. Malgré cela, les consultations suivantes ont été entachées de remarques dégradantes et d’un manque d’assistance. La même sage-femme lui a demandé quand elle est repartie en consultation « Vous êtes encore là avec cette grossesse ? », avant de lui suggérer de se débarrasser du bébé. « Je lui ai demandé de m’aider à le faire et elle m’a dit que je savais comment il fallait faire, qu’il devait sortir de la même manière qu’il était entré », raconte-t-elle.

Ce traitement reflète la négligence systémique dont les femmes handicapées font l’objet dans certains établissements de santé. En conséquence, elles bénéficient de services de santé inadéquats, y compris de dépistages vitaux comme celui du cancer du col de l’utérus.  « Je ne vais pas dans les centres de santé parce qu’ils ne sont pas accessibles. Une fois, je suis allée à une consultation et on m’a demandé si j’étais accompagnée. Quand j’ai dit que j’étais seule, personne n’a voulu m’aider », raconte Rosalie Somé, une autre femme vivant avec un handicap moteur qui a connu des difficultés d’accès aux soins. « Je ne vais plus en consultation à cause de ces expériences. Je n’y vais même pas pour des tests comme le dépistage du cancer du col de l’utérus. Il est impossible de s’asseoir sur la table d’examen sans aide », a-t-elle déclaré.

Pour ces femmes, les établissements de santé sont un rappel de leur invisibilité dans un système qui n’est pas conçu pour elles. De plus, on suppose à tort que les femmes handicapées ne sont pas ou ne devraient pas être sexuellement actives, ce qui conduit à des jugements de la part de certains professionnels de la santé mal préparés à les servir. 

« Quand on est une femme vivant avec un handicap, on veut aussi mettre un enfant au monde, mais cela demande beaucoup de courage », explique la présidente de l’Association des femmes handicapées battantes du Burkina (AFHBB), Maimouna Nakro qui précise également que certaines femmes sont obligées de sortir de leur fauteuil roulant et ramper pour entrer dans le cabinet du médecin, en raison de l’étroitesse des portes avec l’hygiène qui laisse à désirer.

Les femmes subissent une indignité supplémentaire lorsque le personnel médical doit les soulever pour les placer sur les tables d’examen parce que celles-ci ne sont pas réglables ou adaptées aux utilisatrices de fauteuils roulants. Une membre de l’FHBB décrit cet inconfort : « Avec ma corpulence, je ne me vois pas me hisser sur une table d’examen et risquer de tomber ».

Une autre femme raconte : « Je suis allée en consultation gynécologique. Quand je suis arrivée, le gynécologue m’a regardée et m’a demandé si je pouvais monter sur la table. J’ai dit que je me débrouillerais. Mais quand je suis montée sur la table, vous auriez dû voir à quel point j’étais en sueur. La table n’était pas adaptée et je me suis retrouvée collée contre le mur. », a-t-elle dénoncé soutenant que parfois, il n’y a même pas de rampe ou de barre d’appui pour faciliter l’accès.

Les conventions ratifiées, une illusion de progrès ?

Le Burkina Faso a ratifié des conventions internationales telles  pour garantir l’accès aux soins pour les femmes vivant avec un handicap.

La CEDEF (adoptée en 1979) et la Recommandation n°24 du Comité CEDEF (1999) selon Aïcha Tankoano/Nikièma, magistrate, soulignent la nécessité de garantir l’accès des femmes handicapées aux services de santé et recommande des mesures pour que ces services soient accessibles, sans discrimination, et respectueux. de leur dignité (art.12). Cependant, après plus de 40 ans, les femmes handicapées continuent de se heurter aux obstacles physiques dans les établissements de santé, laissant les promesses des conventions sans effet tangible.

De plus, le Protocole de Maputo, ratifié en 2003, insiste sur la nécessité de protéger les femmes handicapées contre toutes les formes de violence et de discrimination fondée sur l’infirmité, notamment dans l’accès aux soins de santé (art.14- 23). Là encore, l’écart entre la lettre de la loi et la réalité vécue par les femmes handicapées du Burkina Faso est flagrant.

En 2008, le Burkina Faso a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui oblige les États à assurer l’accessibilité universelle et l’adaptation des infrastructures pour les personnes handicapées. Ce texte prévoit également la formation des personnels de santé afin qu’ils puissent offrir une prise en charge appropriée et digne. Pourtant, le terrain semble indiquer que les infrastructures restent largement inadaptées, et la formation du personnel médical sur les besoins spécifiques des femmes handicapées est quasi inexistante.

La loi sur la santé publique et la loi sur la santé de la reproduction en vigueur au Burkina Faso, poursuit la magistrate, permet également des mesures pour garantir l’accessibilité des établissements de santé aux personnes handicapées, et en particulier aux femmes, en matière de santé reproductive. Ces textes stipulent que les équipements doivent être adaptés et que le personnel doit être formé pour accueillir des femmes handicapées. Cependant, cette législation reste largement inappliquée sur le terrain.

La magistrate Aïcha Tankoano Nikièma souligne qu’il existe pourtant des conséquences juridiques pour les établissements de santé qui ne respectent pas ces normes, notamment des amendes et des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois. Cependant, ces sanctions sont rarement appliquées. Les femmes handicapées du Burkina Faso, par le biais de leurs associations, réclament des changements urgents. Elles demandent que les centres de santé soient rendus accessibles à tous, en élargissant les portes, en adaptant les tables d’examen et d’accouchement, et en formant le personnel à l’assistance aux femmes handicapées.

Aicha Tankoano Nikièma, magistrate

Législation nationale : des engagements insuffisants

Le Code de l’urbanisme et de la construction du Burkina Faso, dans son Article 34 de la loi n° 017-2006/AN, renseigne Mme Tankoano, impose l’accessibilité des dispositions architecturales aux personnes handicapées dans les immeubles collectifs à usage d’habitation, les lieux de travail, les établissements recevant du public, ainsi que les locaux scolaires et sanitaires. Le non-respect de cette exigence légale entraîne des sanctions pénales, notamment des amendes allant de 200 000 à 2 000 000 francs CFA pour les initiateurs et constructeurs (art. 220). Pour les établissements recevant du public, les sanctions sont encore plus sévères : amendes de 500 000 à 1 500 000 francs CFA et/ou un emprisonnement de six mois à deux ans (art. 221). L’autorité administrative peut même ordonner la démolition des constructions non conformes et la remise en état des lieux aux frais du contrevenant (art. 222).

Pourtant, ces mesures restent trop souvent inappliquées, laissant des milliers de femmes vivant en situation de handicapées sans accès aux infrastructures adaptées. De plus, la loi n° 012-2010/AN portant protection et promotion des droits des personnes vivant avec un handicap oblige tout constructeur d’infrastructure publique ou privée du public à prévoir des dispositifs d’accessibilité pour les personnes handicapées. Cette loi comprend la construction de rampes d’accès avec main courante et une pente n’excédant pas 5 % (art. 21). Les sanctions pour non-conformité comprennent des amendes de 50 000 à 100 000 francs CFA, et en cas de récidive, l’amende est portée à 100 000 à 200 000 francs CFA, sans préjudice des dommages et intérêts (art. 52). Toutefois, l’absence de suivi efficace et de sanctions dissuasives laisse cette loi largement inefficace, comme en témoignent les nombreuses plaintes des femmes handicapées.

Pourtant, déplore Sandra Zoungrana, architecte, les rampes d’accès et les sanitaires pour les personnes vivant avec un handicap ne respectent souvent pas les normes en vigueur. Selon elle, es rampes sont souvent trop raides, obligeant les utilisateurs à se faire aider pour franchir les obstacles, alors qu’elles devraient permettre une autonomie complète. Elle insiste sur le fait que « dans un bâtiment qui respecte les normes, une personne en situation de handicap ne devrait pas sentir son handicap. » En plus de cela, poursuit-elle, les couloirs des établissements sont parfois trop étroits, ne permettant pas aux fauteuils roulants de se déplacer et de manœuvrer facilement. Quant aux toilettes, elles sont souvent inexistantes ou mal conçues, avec des portes trop étroites et un espace insuffisant pour circuler et se repositionner sans assistance. L’architecte regrette que la prise en compte des besoins des PMR soit souvent négligée, faute d’espace ou de moyens, et que ce soit principalement les organisations internationales qui veillent à inclure ces aménagements dans leurs infrastructures.

La Directrice de la Santé et de la Famille reconnaît que les anciennes constructions n’ont pas pris en compte les personnes vivant avec un handicap dans leur conception

Mais pour la magistrate, la loi est claire : ce qui est requis des États, c’est de modifier les édifices pour tenir compte des personnes en situation de handicap. « Ce n’est pas parce que les infrastructures étaient là depuis 1980, que les personnes en situation de handicap doivent les subir. Il est du devoir de l’Etat de les modifier pour tenir compte de la situation des personnes en situation de handicap pour que ces édifices leur soient accessibles« , a-t-elle soutenu. Il ne s’agit pas d’une simple recommandation, mais d’une obligation légale visant à garantir l’égalité d’accès aux services de santé pour tous, quel que soit leur état physique. Le respect de cette exigence légale est essentiel pour éviter toute forme de discrimination et assurer une inclusion effective des personnes en situation de handicap.

Elle souligne que les femmes en situation de handicap ont la possibilité de faire valoir leurs droits en portant leurs affaires devant des instances internationales, telles que la Cour de justice de la CEDEAO, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ainsi que les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, le droit à la santé, etc. Ces démarches peuvent être engagées directement ou par l’intermédiaire des médias, ainsi que par le biais d’associations ou d’organisations non gouvernementales.

Les femmes en situation de handicap quand à elles, par l’intermédiaire de leur association, mènent un plaidoyer pour des changements urgents dans le système de santé. Elles demandent que les centres de santé soient rendus accessibles à tous, en élargissant les portes et en adaptant les tables d’examen et d’accouchement, afin de garantir à chaque femme handicapée le droit à des soins dignes. Elles préconisent également l’inclusion d’un module sur le handicap dans la formation des professionnels de la santé pour qu’ils acquièrent les compétences nécessaires à l’accompagnement des personnes handicapées.

Les femmes en situation de handicap au Burkina Faso attendent toujours que les engagements pris il y a plus de deux décennies se traduisent en actions concrètes et immédiates, car pour elles, chaque jour d’attente est un jour de trop. Les décideurs politiques doivent veiller à ce que les lois sur l’accessibilité soient appliquées, car devenir mère ne doit pas être un combat contre des infrastructures inadaptées ou des attitudes discriminatoires, mais un moment de dignité et de bonheur.

Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophone.

Madina Belemviré 

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