Autorisation d’interruption sécurisée de la grossesse : Un sésame difficile à obtenir

Imaginons ! Alima est victime de viol et décide de porter plainte auprès des autorités judiciaires. La plainte est enregistrée et est en cours. Le délai peut être long souvent. Au bout d’un mois, elle constate qu’elle ne voit plus ses règles. Un rapide test de grossesse révèle qu’elle est enceinte. Que faire ? Alima entame les démarches pour une interruption de grossesse. Eh oui, elle en a le droit. Au Burkina Faso, des dérogations sont accordées par la loi afin d’autoriser l’interruption de la grossesse dans certaines conditions. L’on parle alors dans ce cas d’interruption sécurisée de la grossesse (ISG). Le caractère exceptionnel de l’ISG annonce déjà les difficultés à obtenir cette autorisation requise par la loi, ce fameux sésame. L’objet de cet article est de montrer que la pratique est davantage en retrait par rapport aux restrictions juridiques et que cette situation entraine des conséquences qu’il faut prendre en compte. Selon une étude de Médecins du Monde dans deux villes du Burkina que sont Ouagadougou et Léo, depuis 2011, portant sur l’analyse du cadre légal de l’IVG, seulement vingt jugements portant sur l’IVG ont été enregistrés. Qu’est-ce qui explique cette situation et quelles conséquences pourraient en résulter ? Les lignes suivantes apportent de façon pédagogique quelques éléments de réponses à ces interrogations.

Revenons à Alima. On l’a dit, un mois après avoir été violée, elle décide d’entamer les démarches pour obtenir le fameux sésame. Et là, la dure réalité se dresse à elle. Sa grossesse a dépassé le stade des 14 semaines. Le délai est expiré. Plus moyen d’obtenir auprès d’un agent de santé, l’interruption sécurisée de sa grossesse.

Le cas de Alima est loin d’être le seul. Il y’a pire. « Nous avons reçu le cas d’une adolescente qui s’est faite agressée sexuellement par son frère et cela s’est soldée par une grossesse. Quand ils sont venus nous voir, la grossesse était à 17 semaines, deux jours, échographie. Au vu de la loi, nous ne pouvions pas pratiquer l’interruption sécurisée de la grossesse », raconte Dr Eric Tobge, gynécologue obstétricien en service au CHU de Bobo Dioulasso.

Dr Eric TOGBE, gynécologue obstétricien

L’interruption sécurisée de la grossesse, a rappelé Dr Eric Togobé, est définit comme l’arrêt d’une grossesse évolutive par un agent de santé suivant les conditions posées par la législation du pays dans lequel exerce cet agent. Au Burkina Faso, la procédure prévue par la loi est particulièrement longue pour les cas de viol et d’inceste pour lesquels il faut examiner le cas pour s’assurer qu’il s’agit vraiment d’un viol ou d’un cas d’inceste. En effet, l’article 513-14 du code pénal dispose : « En cas de viol ou d’inceste, si la matérialité de la détresse est établie par le ministère public, la femme enceinte peut demander à un médecin dans les quatorze premières semaines, l’interruption de sa grossesse ».

Concrètement comme l’explique Aïcha TANKOANO/NIKIEMA, magistrate, spécialiste en droit international/droits des femmes et Violences basées sur le genre (VBG), en cas de grossesse consécutive à un viol, une demande aux fins d’être autorisée à recourir à l’interruption sécurisée de la grossesse doit être adressée au Ministère Public (Procureur du Faso). A la suite, le Procureur du Faso procède à la vérification des motifs invoqués. A l’occasion, une enquête circonstanciée pourrait être diligentée et des examens médicaux ordonnés pour vérifier la véracité des faits, l’existence de la grossesse et l’âge gestationnel. Concomitamment ou à la suite, le Procureur du Faso procède à la vérification de l’état de détresse de la victime. A cet effet et suivant les circonstances de l’espèce, il pourra procéder à des constatations empiriques ou ordonner toute expertise ou enquête qu’il jugera utile. Lorsque toutes les conditions sont réunies, il autorise l’interruption sécurisée de la grossesse.

Aïcha TANKOANO/NIKIEMA, magistrate

Dans la pratique, cette procédure longue aboutit à des conséquences indésirées, car des femmes se retrouvent avec des grossesses au deuxième trimestre qui sont par conséquent avancées. Le Dr Eric Togbé déplore ces cas de figure « où des femmes sont venues au deuxième trimestre de leur grossesse et où ils n’ont pas pu pratiquer l’ISG».

Elle tombe enceinte suite à un viol commis par son père

La lenteur de la procédure s’explique d’abord selon la juge Tankoano, par les contraintes procédurales. La réalisation des différentes enquêtes et/ou expertises que justifient les circonstances de la cause nécessite souvent du temps. En outre, le respect des procédures requises inclut des exigences de formalisme pouvant expliquer l’allongement des délais. Les cas de viols par exemple, ne sont pas déclarés tôt. A cela, il faut ajouter ensuite l’hésitation des victimes de viol où d’inceste à procéder immédiatement à la déclaration.

Selon une source des services de sécurité chargés de recevoir et d’enregistrer de telles déclarations, « nous recevons les plaintes, nous constatons les faits, nous interpellons l’auteur du délit et nous dressons le procès-verbal. Mais si nous recevons la plainte 3 ou 4 semaines après le viol, quelle que soit la rapidité dans le traitement, le dossier est déjà en retard ». Lorsque le cas est déclaré plutôt, la procédure est transmise dans les meilleurs délais pour permettre au magistrat d’autoriser l’interruption sécurisée de la grossesse en tenant compte de l’avis du médecin. Ainsi, une fille qui a été victime de viol le matin et « qui dépose la plainte le soir ou le lendemain, on ne peut pas d’ores et déjà savoir qu’elle est enceinte. Mais en ce moment, la procédure est déjà chez le juge et le médecin est également informé. Au bout donc d’une à deux semaines, on peut savoir si la fille est enceinte ou pas et en même temps, on autorise l’ISG », précise la même source sécuritaire.

Très peu d’autorisations d’ISG

En matière d’autorisation d’ISG, une étude réalisée par Médecins du Monde en 2011 à Ouagadougou et à Léo sur l’analyse du cadre légal de l’ISG, révèle une quasi-inexistence de décision d’autorisation de l’avortement. Si tous les magistrats affirment avoir été saisis de cas d’avortement illégal, la quasi-totalité déclare n’avoir jamais été saisie pour un cas d’autorisation de l’interruption sécurisée de la grossesse. Seul un magistrat affirme avoir, à deux reprises, autorisé l’interruption sécurisée de la grossesse sur la base du Code pénal de 1996 :« J’ai reçu le dossier d’une fillette, élève de 14 ans en grossesse suite à un viol. J’ai enclenché la procédure de viol et je leur (ses parents) ai expliqué qu’ils pouvaient, conformément à la loi, demander une interruption sécurisée de la grossesse à un médecin. Ils ont fait la demande au médecin qui les a renvoyés chez moi. Ils sont revenus me voir en me disant que le médecin refusait de procéder à l’ISG tant qu’il n’a pas une autorisation du ministère public. J’ai photocopié les dispositions du Code pénal sur l’avortement que j’ai envoyées au médecin qui a exigé un écrit l’autorisant à pratiquer l’ISG. J’ai fait l’écrit et lui ai dit de procéder conformément à la loi. Il ne l’a pas fait lui-même. La fille était déjà à 7 semaines de grossesse, il l’a fait évacuer à Ouagadougou pour rencontrer un gynécologue qui a procédé à l’ISG».

A la question de savoir si un médecin est en mesure de refuser de pratiquer l’ISG, la magistrate Tankoano a noté qu’aucune disposition résultant du code de la Santé ou pénal ne permet pour l’heure, à un médecin de s’abstenir ou de refuser de pratiquer l’ISG à la suite de l’autorisation obtenue du Procureur du Faso. Toutefois, l’article 117 al.3 du Code de déontologie des médecins prévoit que si le médecin, en raison de ses convictions, estime qu’il lui est interdit de pratiquer l’interruption sécurisée de la grossesse, il peut se retirer en faisant assurer la continuité des soins par un confrère qualifié. « On peut donc en déduire que l’excuse n’est admise qu’à la condition pour le médecin habilité de s’assurer de la réalisation de l’ISG par un autre », a-t-elle commenté.

Cette étude témoigne que même si la loi permet dans certains cas aux femmes d’interrompre médicalement leur grossesse, obtenir le fameux sésame est une mission quasi impossible. Face à ces défis, les femmes ont recours à l’avortement clandestin, avec toutes les complications sur le plan gynécologique, sur le plan rénale et hépatique. Selon les statistiques de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) de l’Université de Ouagadougou en partenariat avec Guttmacher Institute, 105 000 cas d’avortements ont été recensés au Burkina avec 25 femmes enceintes pour 1000 (15-49 ans). En zone urbaine, la situation est plus inquiétante avec 44 pour 1000 contre 22 pour 1000 en milieu rural.72% des femmes ayant avorté ont eu recours à un praticien traditionnel ou l’ont fait elles-mêmes. 43% des femmes ayant eu recours à cette pratique à risque ont eu des complications.

Parmi ces complications, figure l’insuffisance rénale selon Dr Hassane Traoré, néphrologue au CHU Yalgado Ouédraogo. Relevant que de nombreuses femmes présentent une insuffisance rénale grave après un avortement provoqué clandestin, Dr Traoré a expliqué que cette pathologie peut survenir dans trois conditions. Lorsque le produit utilisé pour l’avortement est toxique pour les reins, à la suite d’un saignement important qui a entrainé une destruction des reins, ou lors  de certaines manœuvres réalisées pendant l’avortement qui exposent les reins à de graves infections.  « Lorsqu’elle (insuffisance rénale) survient dans ces conditions, si la femme n’est pas prise en charge rapidement et efficacement, c’est le décès à court terme.  Et même si elle est prise en charge, malheureusement, le décès peut survenir au cours de cette prise en charge », a-t-il noté.

Le viol est déjà assez pénible dans la vie des victimes. Vivre encore en sachant que l’on porte la semence de celui-là même qui a piétiné sa dignité est encore plus insupportable. Les autorités sanitaires doivent donc mettre davantage l’accent sur la sensibilisation afin que les femmes victimes de viols et d’incestes puissent bénéficier de ce fameux sésame qu’est l’ISG.

Madina Belemviré

Encadré

Que faire en cas de viol?

En cas de violence sexuelle, conseille le médecin légiste Dr Doudoulgou Beraré, la victime doit éviter de faire une toilette ou de changer de vêtements et consulter immédiatement dans un Centre de santé pour une prise en charge médicale adéquate avant d’aller porter plainte auprès des officiers de police judiciaire.

 

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