Ouagadougou – Dépotoirs sauvages d’ordures : ces gros foyers d’émission de gaz à effet de serre qui ont la peau dure

A Ouagadougou, la capitale Burkinabè, la gestion hasardeuse et peu planifiée des déchets solides ménagers contribue à la prolifération des décharges sauvages et à l’augmentation de la quantité de gaz à effet de serre libérée dans l’atmosphère. De la collecte des ordures ménagères à leur traitement, il urge de réviser les pratiques sur toute la chaîne.

Kamboinse, 9ème arrondissement de Ouagadougou, la capitale du Burkina-Faso. Une grosse montagne d’immondices fait partie du décor. Les passants, à proximité, détournent le regard, se couvrent le nez et la bouche de la main et hâtent le pas. Dans ce méandre non loti de la capitale, entre la route de l’hôpital Paul 6 et celle de Yagma, le spectacle est désolant.

 

Dépotoir sauvage à Kamboinse
Un dépotoir sauvage à Kamboinse Photo : Bulletin Santé

 

Cet espace aurait pu être une ceinture verte de la ville. Entrepreneur et résident dans les environs, Sylvain Sawagodo s’en désole. « Les auteurs méritent d’être sensibilisés et sanctionnés selon la gravité des cas. Il m’est arrivé d’attirer discrètement l’attention des agents chargés de faire appliquer les textes sur ces faits, mais dans leur maladresse, les auteurs ont su que je les ai dénoncés », s’est-il indigné.

Dans cette ville de plus de trois millions d’habitants, la quantité de déchets solides ménagers ne fait qu’augmenter. La production est passée de 228 000 tonnes en 2009 à plus de 600 000 tonnes en moins de quinze ans.

Les dépotoirs sauvages d’ordures ménagères comme celui de Kamboinse, Ouagadougou en abrite des centaines, de bien plus grandes tailles !

« La ville [Ouagadougou] génère 1600 tonnes d’ordures ménagères par jour », renseigne Sidi Mahamadou Cissé, Conseiller Technique chargé des questions environnementales à la Mairie de Ouagadougou, par ailleurs ancien Directeur de la Propreté.

Plus d’une centaine de points noirs

Une grande partie de ces ordures ménagères a pour point de chute ces grandes décharges sauvages qui pullulent à travers Ouagadougou. En 2011, Dr Issa Sory, Géographe et Maître de Conférences à l’Université Norbert Zongo de Koudougou, en avait inventorié près de 200.

 

 

Carte de la répartition spatiale des centres de collecte de Ouagadougou (2011). Image : Issa Sory

Une décennie plus tard, le mal persiste et s’est presque décuplé.

Cissé ne le nie pas.

« Au niveau de la périphérie, dans la ceinture verte, au niveau des espace verts, des réserves administratives et certains cimetières, vous allez découvrir des décharges non contrôlés, disséminés à travers toute la ville. Et ce depuis très longtemps.  Il y a des efforts pour procéder à leur élimination, mais la ville de Ouagadougou est confrontée à un certain incivisme d’une certaine frange de sa population. Souvent une ou deux semaines après que la mairie ait éliminé ces dépotoirs sauvages, ils se reconstituent», déplore l’ancien Directeur de la Propreté.

Toutefois, insiste-t-il, le phénomène est moins persistant d’un quartier à un autre.

« Du secteur 1 jusqu’au secteur 12, il y a de moins en moins de dépotoirs sauvages. Mais du secteur 14 jusqu’au secteur 55 en périphérie, qui ne disposent pas d’ouvrages d’assainissement ni de centres de collecte, le phénomène est beaucoup criard. Si vous prenez au moins 4 décharges par secteur multiplié par 43, on a plus d’une centaine », déplore Sidi Mahamadou Cissé.

En 2000, des réformes ont été mises en place avec l’appui de la Banque mondiale, donnant naissance au Schéma Directeur de Gestion des Déchets (SDGD).

« La réforme de la filière est construite autour du concept de quartier propre, ce qui implique que le territoire urbain soit subdivisé en territoire de pré-collecte attribués à des groupements d’intérêt économique et des petites et moyennes entreprises », explique Dr Issa Sory.

L’application du SDGD a favorisé la naissance de deux types de pré-collecteurs : les pré-collecteurs formels et les pré-collecteurs informels.

La prolifération des décharges sauvages trouve en partie sa source dans la difficile cohabitation de ces deux acteurs. « La concurrence entre ces deux types d’acteurs contribue au développement de pratiques d’incivilité dans la filière des déchets, telles que le contournement de la redevance et la prolifération des décharges sauvages », déplore Issa Sory.

Les réformes n’ont donc pas tardé à montrer leurs limites dès le début, occasionnant des inégalités dans la répartition de la soixantaine de centres de collecte. A cela, il convient d’ajouter la réticence de certaines populations à accepter dans leurs zones d’habitation des centres de collecte d’ordures; une attitude née d’un manque d’informations.

« Dans les années 2000-2001, quand la ville de Ouagadougou cherchait à identifier des sites sur lesquels elle voulait implanter ces centres de collecte, il y a eu des secteurs dans lesquels il y a eu une résistance farouche de la part de la population qui ne souhaite pas avoir des centres de collecte à côté de leur habitation. La commune était obligée de renoncer »

 

Des milliards FCFA injectés 

La manne financière injectée dans le secteur des déchets n’est pas moindre.

« Ce sont environ trois milliards 700 millions de FCFA [5640613 Euros] qui sont alloués annuellement par le budget de la ville de Ouagadougou et, pour le transport des déchets, l’exploitation et la prise en charge des 3000 femmes de la brigade verte et les autres acteurs qui interviennent dans le nettoyage des caniveaux… », avoue le Conseiller Technique en charge des questions environnementales à la Mairie de Ouagadougou.

La réforme telle qu’opérée, place les entreprises attributaires des territoires de pré-collecte au cœur du financement de la filière. Ces dernières sont ainsi chargées de collecter la redevance auprès de leurs abonnés. Cette tâche est bien difficile à réaliser, avec des abonnés irréguliers dans le versement de leur abonnement, ou encore qui débrayent, sans crier gare.

« Il fut un temps où j’étais abonnée. Mais j’ai abandonné parce que je ne vois plus l’intérêt de payer chaque fin du mois 1000 FCFA pour faire vider des ordures que je peux vider moi-même. Le dépotoir dans lequel elles jettent nos ordures est juste à côté de chez nous. Je jette au même endroit », confie Nafissa Belem, la trentaine, commerçante à Kamboinse.

L’irrégularité de passage des agents de collecte, dans les quartiers de Ouagadougou, revient sans cesse dans la plainte formulée par les ménages abonnés. Ces ménages brandissent d’ailleurs cela comme un argument pour tourner le dos aux collecteurs et recourir à des méthodes d’incinération peu recommandables.

« Les femmes qui collectent les ordures peuvent faire deux semaines sans passer. Quand c’est ainsi, nous sommes parfois obligés de brûler nos ordures parce que ça dégage une odeur », confie Zongo Mariame, une institutrice issue d’une famille d’au moins 10 personnes.

La Présidente du Groupement d’Intérêt Économique Wend Na Songr, Zanga Suzanne Sedogose, quant à elle, dénonce la mauvaise foi des ménages abonnés; des ménages qu’elle décrit comme de mauvais payeurs. « Il y a des ménages qui peuvent faire 5 mois sans payer. Lorsque vous arrivez, ils vous payent pour 2 mois et vous disent de repasser une autre fois pour le reste(rires). Et comme nous ne voulons pas perdre de la clientèle nous y allons quand même », explique-t-elle.

Toutefois, Mme Sedogose souligne qu’il leur arrive d’abandonner. « Oui. Parfois il faut abandonner. Vous avez parfois des gens qui vous doivent de l’argent sur un an ou un an et demi. En ce moment, vous ne savez pas si la personne va payer ou pas donc vous êtes obligé d’abandonner », regrette-t-elle.

Des centaines de tonnes de CO2 à Polesgo 

Il n’y a pas que les maillons de pré-collecte et de collecte du système qui soient peu efficaces. Une évaluation de l’empreinte carbone du Centre de Valorisation et de Traitement des Déchets (CVTD) situé à Polesgo (Ouagadougou), faite par des chercheurs de l’Institut de Recherche en Sciences Appliquées et Technologie (IRSAT) de Ouagadougou et du Laboratoire de Physique et de Chimie de l’Environnement (LPCE) de l’Université Joseph KI-ZERBO, révèle des émissions énormes de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère.

Centre de traitement et de valorisation des déchets (CTVD) Photo : https://infowakat.net/

Pour ces chercheurs, l’enfouissement des déchets solides ménagers dans ce centre a généré une émission d’environ 125 539 tonnes équivalent CO2 (téq-CO2) en 2019 et plus de 901 267 téq-CO2 depuis son ouverture en 2005.

Aussi, concluent-ils que les énormes quantités de gaz à effet de serre relâchées dans l’atmosphère sont liées au fait que les déchets enfouis au CVTD sont essentiellement organiques et qu’aucun dispositif de valorisation ou de torchère n’est disponible à ce jour (à l’époque, ndlr) au sein du centre, dans un contexte de lutte contre les facteurs catalyseurs du changement climatique, il serait plutôt judicieux d’envisager des options alternatives à l’enfouissement, telles que la valorisation organique et matière des déchets.

Du méthane dans l’air 

A Ouagadougou, même s’il est difficile d’évaluer avec exactitude la quantité de gaz à effet de serre émise du fait de la prolifération des dépotoirs sauvages, selon le Dr Issa Sory, les tas d’ordures dans la ville émettent non seulement des odeurs nauséabondes, mais également des gaz à effet de serre tels que le méthane (CH4) et le dioxyde de carbone (CO2), ainsi que d’autres gaz qui contribuent à la formation de polluants chimiques.

De plus, l’élimination des déchets solides par incinération incontrôlée sur les tas d’ordures dans la ville contribue fortement à l’augmentation de la fumée, à la formation de particules en suspension (grosses et fines) et à la formation de composés chimiques très toxiques tels que la dioxine. Une pratique à laquelle de nombreux ménages continuent de s’adonner .

« On payait 2000F par mois pour un passage [des équipes de collecte] dans la semaine. Mais nous avons décidé d’arrêter et de brûler [nous-mêmes] nos ordures pour deux raisons : on a volé trois fois notre poubelle et les femmes étaient irrégulières parce que mon quartier est difficilement accessible par les charrettes et les taxi motos pendant la saison pluvieuse », confie un habitant du quartier Kossodo.

Des reformes, le secteur des déchets en a besoin à nouveau à Ouagadougou. Les acteurs en sont eux-mêmes conscients, à commencer par la Mairie. Et cela, Sidi Mahamadou Cissé semble le traduire si bien.

« Il faut revoir les textes pour des modalités qui obligent les GIE/PME payés à la source, à reverser quelque chose à la ville de Ouagadougou pour contribuer à alléger les charges liées à la gestion des déchets, qui tournent autour de 3,7 milliards Fcfa [5640613 Euros]. De même, il le faut aussi, pour emmener les ménages et autres producteurs de déchets à honorer leurs engagements vis-à-vis des GIE », soutient le Conseiller Technique en charge des questions environnementales à la Mairie de Ouagadougou.

Les concessionnaires actuellement en activité, dans le domaine de la (pré)collecte des ordures ménagères à Ouagadougou, ont été sélectionnés à la suite d’un appel d’offres lancé en 2005. Ces derniers ont commencé leurs activités de pré-collecte en 2007, pour une durée intangible de cinq ans. Ainsi, en 2012, un nouvel appel d’offres devrait être lancé en vue de sélectionner de nouveaux acteurs. Plus d’une décennie après, rien n’y fit ! C’est le statut quo ! Une situation que Dr Issa Sory considère comme une insuffisance à corriger, en vue de redynamiser le secteur.

« L’une des premières tâches est de lancer un appel d’offres et de sélectionner des pré-collecteurs. Cela suppose un redécoupage de la ville en fonction des acteurs en présence. Ensuite, il faudra encourager le regroupement en vue de réduire au maximum la possibilité d’existence d’acteurs informels sur le plan infrastructurel », suggère le Chercheur, Géographe-urbaniste. Une réforme certes ambitieuse, mais, qui, si elle ne met pas les ménages au cœur du dispositif pourrait basculer à nouveau tout le système dans le décor.

 

Cet article a été produit avec le soutien de Media Foundation for West Africa, la Fondation des Médias pour l’Afrique de L’Ouest, dans le cadre de son programme de bourse sur le changement climatique.

 

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